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Bal en hiver

Graziella Modoux, avril 2021

Lui: C’est bizarre, y pas grand monde ! Voyons voir ce qui est marqué sur l’invitation ! Oui, c’est bien là. Je verrai bien ! Si ce n’est pas ici, et bien je serai sorti de chez moi ! 

 

Elle: Quelle idée j’ai eu de venir... je savais bien que je ferai tapisserie. Mais, j’avais vraiment besoin de sortir même s’il fait froid. J’aurai dû m’habiller plus chaudement, c’est tout moi ça. Mais bon, c’est une super idée ce bal en plein mois de janvier ! 

 

Lui: Je sens que le monde n’a pas très chaud. Avec ma doudoune et mon bonnet, si je ne danse pas, cela ne sera pas trop grave. 

 

La musique entraînante rend l’ambiance sympathique. L’organisation est bien faite. Des lampions colorés accrochés dans les arbres offrent une jolie lumière. Du vin chaud et des petits fours sont posés sur des caisses en bois qui servent de tables et de chaises. 

 

Lui: Bon, je vais rester debout ! Les mains dans les poches, malgré les gants qu’il a mis avant de partir, sont glacées. 

 

Elle: Il faudrait que je danse un peu sinon je vais attraper la mort ! 

 

Les danseurs ont des âges très différents, entre 25 et 70 ans. Malgré la musique des années 80, les jeunes se sont levés et ont envahis une piste improvisée. Ils ont l’air de prendre beaucoup de plaisir, même si on peut imaginer que ce n’est pas la musique qu’ils écoutent généralement. Mais il faut reconnaitre que cette époque n’a pas de limite d’âge. Ceux de la soixantaine, qui les ont suivis, s’en donnent à cœur joie. Toute leur jeunesse ! 

 

Elle: Et le dernier qui vient d’arriver pourquoi il ne m’invite pas ! Mince, alors, j’ai mis mon plus joli manteau et en plus de couleur vert pistache, qui s’accorde avec mes lunettes pour ne pas passer inaperçue. C’est raté....En plus, je suis congelée.

 

Lui: Bonjour, je peux vous inviter à danser ? Pardon ? 

 

Lui: Excusez-moi, je me demandais si vous accepteriez de danser avec moi. Elle: Euh... ! Volontiers ! 

 

D’une façon toute aussi hésitante, elle lui prend le bras. Par réflexe de galant homme, il l’enserre par la taille et la conduit parmi les danseurs. 

 

Elle: Ouf, c’est un slow, pense-t-elle en s’accrochant à lui de peur de tomber.

Lui: Elle est bizarre cette nana, commente-t-il pour lui-même. Elle ne m’a pas semblé avoir très envie de danser avec moi. Quelle idée de mettre des lunettes à verres fumés, jolies, soient-elles, marmonne-t-il pour lui-même. Vous venez souvent à ce genre de bal ?

Elle: Non, c’est la première fois ! Et vous ? Etes-vous un habitué ?

 

Lui: Non, pas du tout ! lui sourit-il.

 

Elle: ...

Lui: Il fait quand même froid pour ce genre d’évènements, ne trouvez-vous pas ?

Elle: Oui, en effet ! Mais c’est quand même mieux que de rester chez soi, répond-elle, illuminant son visage d’un très joli sourire.

Lui: Etrange mais jolie, admet-il intérieurement, déjà sous le charme. Vous avez froid ?

 

Elle: Non, ça va maintenant que nous dansons. Dommage qu’il ait gardé ses gants, regrette-t-elle. J’aurai aimé sentir la texture de sa peau. 

 

Ils restèrent à danser sur plusieurs chansons douces en parlant peu, profitant que leurs pas s’accordent à leurs corps. 

 

Mesdames, Messieurs, je vous demande de m’accorder une petite pause de 15 minutes. Je vous retrouve tout de suite pour de nouveaux tours de piste, annonce le DJ dans le micro. 

 

Elle: Oh ! C’était super ! Ca faisait longtemps que je n’avais pas dansé de slows avec un tel cavalier. Merci beaucoup ! 

 

Lui: Moi aussi ! Je vais chercher du vin chaud... Deux vins chauds dans les mains, il se dirigea vers .... Lui: Mais où est-elle passée ? 

 

Son regard est attiré par les feux arrière d’un taxi et par une silhouette verte pistache s’aidant d’une canne blanche pour y entrer et... s’en aller. 

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Gueule de fer

Muriel Pecorini, 18 avril 2021

Au petit matin, dans le silence

Dès que la pâle lueur du jour pointe, soudainement, ils s'éteignent. Ils sont habitués à cette brusquerie. Et dès cet instant et jusqu’à la tombée de la nuit, ils savent qu’ils ne servent plus à rien. Ou presque.

 

Parfois, une main les effleure, un objet cogne leur métal, un bras les entoure, des corps s’enlacent tout contre eux. Certains tentent de graver un nom, un chiffre ou un cœur. Ils se désolent quand un maladroit les insulte, le front meurtri. 

 

Ils sont fiers d'être là depuis si longtemps à éclairer dans la nuit et, par tous les temps, le chemin. A ressembler à leurs ancêtres, avec leurs petits carreaux de verre, même si l’ampoule électrique a remplacé le bec à huile. 

 

De l’autre côté de l’avenue, des nouveaux lampadaires ont été plantés. Des piliers en béton. Les pas se hâtent sous leur lumière crue. Alors qu’à la lueur des anciens, les passants ralentissent, ils se sentent accueillis dans les halos qui se succèdent, leurs ombres sont douces.

Un petit matin givré, dans un silence figé

-  Qu’est-ce qui t’es arrivé ? Ta lanterne penche.

-  J’ai la gueule de fer ce matin. Cette nuit, ils n’ont pas arrêté de hurler. Tu ne les as pas

entendus ?

-  Qui donc ? Je dormais à point fermé.

-  J’ai bien vu, ta lanterne s’est éteinte vers minuit. J’ai subi le braillement de soûlauds, affalés contre ma colonne, pissant à mes pieds. Pire que la pisse de chien ! Penses-tu qu’il va

pleuvoir aujourd’hui ? Un peu de pluie pour me laver.

-  Je ne sens pas d’air humide, juste un relent d’urine. J’espère qu’ils vont me réparer

aujourd’hui.

-  Tu sais bien, ils ne font des révisions que tous les mois.

-  Mais en voyant ta gueule de travers, ils vont venir te redresser et jeter un œil sur moi.

-  Oublie, tu ne pourras même pas cligner l’ampoule pour attirer leur attention !

Un petit matin vaporeux, dans un silence bienheureux

L’un a dormi toute la nuit, comme depuis plusieurs semaines.

L’autre a toujours sa lanterne penchée.

Il ne s’en plaindra plus: un passant au regard avisé l’a immortalisé, en un instant, en noir et blanc.

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